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quement du prestige que l'orateur possède, et pas du tout des raisons qu'il propose. Et,
la meilleure preuve, c'est que lorsqu'une cause quelconque fait perdre à un orateur son
prestige, il perd du même coup toute son influence, c'est-à-dire le pouvoir de diriger à
son gré les votes.
Quant à l'orateur inconnu qui arrive avec un discours contenant de bonnes raisons,
mais seulement des raisons, il n'a aucune chance d'être seulement écouté. Un ancien
député M. Descubes a récemment tracé dans les lignes suivantes l'image du député
sans prestige :
Quand il a pris place à la tribune, il tire de sa serviette un dossier qu'il étale
méthodiquement devant lui et débute avec assurance.
Il se flatte de faire passer dans l'âme des auditeurs la conviction qui l'anime. Il a
pesé et repesé ses arguments ; il est tout bourré de chiffres et de preuves ; il est sûr
d'avoir raison. Toute résistance, devant l'évidence qu'il apporte, sera vaine. Il com-
mence, confiant dans son bon droit et aussi dans l'attention de ses collègues, qui
certainement ne demandent qu'à s'incliner devant la vérité..
Gustave Le Bon, Psychologie des foules (1895). Édition publiée par Félix Alcan, 1905. 119
Il parle, et, tout de suite il est surpris du mouvement de la salle, un peu agacé par
le brouhaha qui s'en élève.
Comment le silence ne se fait-il pas ? Pourquoi cette inattention générale ? A
quoi pensent donc ceux-là qui causent entre eux ? Quel motif si urgent fait quitter sa
place à cet autre ?
Une inquiétude passe sur son front. Il fronce les sourcils, s'arrête. Encouragé par
le président, il repart, haussant la voix. On ne l'en écoute que moins. Il force le ton,
il s'agite : le bruit redouble autour de lui. Il ne s'entend plus lui-même, s'arrête enco-
re ; puis, craignant que son silence ne provoque le fâcheux cri de : Clôture ! il reprend
de plus belle. Le vacarme devient insupportable.
Lorsque les assemblées parlementaires se trouvent montées à un certain degré
d'excitation, elles deviennent identiques aux foules hétérogènes ordinaire, et leurs
sentiments présentent par conséquent la particularité d'être toujours extrêmes. On les
verra se porter aux plus grands actes d'héroïsme ou aux pires excès. L'individu n'est
plus lui-même, et il l'est si peu qu'il votera les mesures les plus contraires à ses
intérêts personnels.
L'histoire de la Révolution montre à quel point les assemblées peuvent devenir
inconscientes et obéir aux suggestions les plus contraires à leurs intérêts. C'était un
sacrifice énorme pour la noblesse de renoncer à ses privilèges, et pourtant, dans une
nuit célèbre de la Constituante, elle le fit sans hésiter. C'était une menace permanente
de mort pour les conventionnels de renoncer à leur inviolabilité, et pourtant ils le
firent et ne craignirent pas de se décimer réciproquement, sachant bien cependant que
l'échafaud où ils envoyaient aujourd'hui des collègues leur était réservé demain.
Mais ils étaient arrivés à ce degré d'automatisme complet que j'ai décrit, et aucune
considération ne pouvait les empêcher de céder aux suggestions qui les hypnotisaient.
Le passage suivant des mémoires de l'un d'eux, Billaud-Varennes, est absolument
typique sur ce point : Les décisions que l'on nous reproche tant, dit-il, nous ne les
voulions pas le plus souvent deux jours, un jour auparavant : la crise seule les
suscitait. Rien n'est plus juste.
Les mêmes phénomènes d'inconscience se manifestèrent pendant toutes les
séances orageuses de la Convention.
Ils approuvent et décrètent, dit Taine, ce dont ils ont horreur, non seulement les
sottises et les folies, mais les crimes, le meurtre des innocents, le meurtre de leur
amis. A l'unanimité et avec les plus vifs applaudissements, la gauche, réunie à la
droite, envoie à l'échafaud Danton, son chef naturel, le grand promoteur et conducteur
de la Révolution. À l'unanimité et avec les plus grands applaudissements, la droite,
réunie à la gauche, vote les pires décrets du gouvernement révolutionnaire. A l unani-
Gustave Le Bon, Psychologie des foules (1895). Édition publiée par Félix Alcan, 1905. 120
mité, et avec des cris d'admiration et d'enthousiasme, avec des témoignages de
sympathie passionnée pour Collot d'Herbois, pour Couthon et pour Robespierre, la
Convention, par des réélections spontanées et multiples, maintient en place le
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